Voilà, le MoDem, c'est fini…
C'est du
moins ce que se plaisent à dire tous les médias, dans un bel élan unanime. Et
pourtant, est-ce que Bayrou ne serait pas le seul véritable gagnant de ces
élections municipales ? Ceci mérite quelques minutes de réflexion.
Relisons les résultats réels.
Tout d'abord, les
commentateurs s'acharnent à comparer des chiffres qui n'ont strictement aucun
rapport entre eux. Ils regardent les résultats des présidentielles, des
législatives et des municipales et tentent d'en tirer des conclusions
définitives. Pourtant, ni le mode de scrutin, ni le découpage électoral, ni
même la philosophie de ces trois scrutins ne sont comparables. Les premières
désignent un homme (ou une femme) qui doit représenter la nation toute entière.
Les deuxièmes élisent les membres d'un parti afin de constituer une majorité à
l'assemblée nationale. Les dernières se contentent de choisir parmi les notables
locaux ceux qui semblent le plus capable de gérer une communauté, d'une dizaine
d'habitants à plus de dix millions de personnes.
Surtout, les listes
constituées pour ces différents scrutins ne sont pas identiques. Si Bayrou
était présent, de fait, dans tous les départements et toutes les
circonscriptions de France, le MoDem n'était présent que dans 525 circonscriptions
sur 577 pour les législatives, et 280 communes sur 36.000 pour les
municipales !
Au lieu de s'acharner à
comparer des carpes et des lapins, mieux vaut revenir aux fondamentaux et
comparer municipales contre municipales.
Petit rappel chiffré.
En 2001, l'UDF avait réuni
un million de suffrages dans 272 villes de plus de 9.000 habitants, soit un peu
moins de 11% des voix. Quel est le résultat aujourd'hui ?
Le MoDem a présenté des
candidats sur des listes autonomes dans 278 villes. Il a réuni près de 600.000
voix au premier tour, ce qui représentait environ 5% des suffrages exprimés
dans les villes de plus de 9.000 habitants. C'est donc un recul incontestable
par rapport à 2001. Le parti centriste a réussi à conserver 18 mairies* sur 22,
le plus souvent grâce à l'absence de candidats de la majorité (14 villes sur
18) et la constitution de listes d'union autour des équipes sortantes. Ce
résultat n'est certainement pas déshonorant en regard des pertes sévères subies
par l'UMP partout en France.
Il a surtout permis à la
gauche de gagner six villes**, dont le 1er secteur de Marseille,
ainsi que deux villes à droite. Si Delanoë n'avait pas si brutalement fermé la
porte à toute alliance, il est tout à fait certain que le Vème
arrondissement de Paris serait venu s'ajouter à cette liste. A Poissy et à
Chennevières-sur-Marne, le MoDem a permis à la gauche de remporter l'élection
au deuxième tour après avoir été devancé d'à peine une trentaine de voix par le
candidat de gauche au premier tour. Dans ces deux villes, tout comme dans les
quatorze autres où le MoDem participera à la majorité de gauche, il faudra
observer attentivement comment les relations de travail s'installeront entre
ces partenaires nouveaux.
Le troisième parti en France
Malgré ces résultats en
demi-teinte, le MoDem est redevenu la troisième force politique en France, devant
le Parti Communiste et les Verts. Sans parler du Nouveau Centre, brillant par
son absence. En-dehors des quelques villes*** où les maires sortants de
l'ancien UDF ont réussi à se maintenir sans opposition, aucune liste de ce
parti croupion n'est parvenue à s'imposer au second tour.
Laminés depuis plus de dix
ans par le RPR, puis l'UMP, vidés de leur contenu après le départ des élus les
plus "droitiers" du mouvement, notamment les anciens de Démocratie
Libérale (Madelin, de Robien…) et du Parti Républicain (Jean-Louis Borloo), les
centristes ont du reconstruire une nouvelle base, plus cohérente avec les pratiques
centristes historiques, rompant l'union traditionnelle avec la droite
gaulliste. Il renoue ainsi avec les traditions humanistes et chrétiennes du
MRP, le Mouvement Républicain Populaire, créé après guerre par les mouvements
de résistance sociaux-chrétiens, autour de Georges Bidault et Maurice Schumann.
Ni communistes, ni gaullistes, les centristes définissaient leur ligne en
fonction de convictions plus larges, généreuses par tradition mais réalistes
dans l'action et la gestion des affaires. Ils ont été au centre de l'échiquier
politique français durant tout l'après-guerre, jusqu'au retour tonitruant des
gaullistes en 1958. La Vème république ne favorisant pas la survie
des petits partis, leur poids recula peu à peu, jusqu'à l'année dernière et une
certaine élection présidentielle où François Bayrou obtint 18,6 % des
suffrages.
Durant ces cinquante
dernières années, un ensemble de petits partis se sont agglomérés au sein de
l'UDF, en dépit de toute conviction politique, dans le seul but de survivre et
d'exister. C'est ainsi que ce parti parvint à traverser ces décennies en
mélangeant ultra-libéraux et sociaux-démocrates au sein de la même formation.
Gonflés par les succès électoraux de Jean Lecanuet, puis de Giscard d'Estaing, les
élus du centre droit mettaient de côté leur idéologie pour tenter d'obtenir un
portefeuille ou maintenir leur position personnelle. A présent, avalés par le
tout-puissant parti unique du Président de la République, il ne leur reste plus
rien, pas même l'honneur. Le Nouveau Centre est, paraît-il, l'allié centriste
du pouvoir, mais pour survivre, il accepte le financement obscur d'un parti
polynésien et l'humiliation constante d'une faiblesse politique avérée. Le
siège de François Sauvadet, président du Conseil Général de la Côte d'Or, ne
tient qu'à une seule voix due à un conseiller général MoDem. Pendant ce temps,
le MoDem a globalement maintenu le nombre de ses conseillers régionaux****.
Un nouveau "front du mécontentement"
A l'analyse du report des
voix entre les deux tours, on constate qu'environ un tiers des électeurs MoDem
du premier tour a reporté ses voix sur un candidat de droite en moyenne.
L'apport des voix du centre a donc principalement bénéficié à la gauche.
Plus largement, on
pourrait dire que la stratégie générale a consisté à "sortir les
sortants". Les alliances de second tour ont souvent consisté à affaiblir
le camp du maire en place, en dépit de toute considération idéologique. Une
seule grande exception à cette règle : Aubagne. Le chef de liste MoDem y a
soutenu le maire communiste sortant, Daniel Fontaine, pour faire barrage à la
droite.
Il existe un risque majeur
pour la majorité présidentielle, en-dehors de toute crise interne, c'est
l'émergence d'un centre indépendant et libre jouant les arbitres à chaque
échéance électorale. Tout comme le Front National durant les vingt dernières
années, le MoDem peut devenir le refuge de tous les mécontentements et son
leader représenter le principal opposant au pouvoir en place. Mais à l'inverse
de ce parti extrême, les centristes sont une alternative politique crédible et
républicaine, capable de lier des alliances à droite comme à gauche. Par le
seul fait de son maintien au second tour des élections législatives ou
municipales, il pourra faire tomber ou élire tel ou tel candidat. Si le nombre
d'adhésion ne faiblit pas et si le travail de terrain réalisé à l'occasion de
ces municipales se poursuit, il constituera une source importante de nuisance
pour les deux camps.
Si Ségolène Royal a sans
doute eu tort d'appeler à une union massive avec le MoDem, Bertrand Delanoë a
peut-être mis en danger son avenir de présidentiable en rejetant aussi
lamentablement une alliance avec les centristes. De plus, cette main tendue lui
aurait permis de disposer d'un réel contrepouvoir vis à vis des Verts, sans
risque de se retrouver pieds et poings liés comme ce fut le cas tout au long de
la dernière mandature. Il est certain que François Bayrou et Marielle de Sarnez
s'en souviendront lors des prochaines échéances.
L'avenir du MoDem
Tous les commentaires
politiques se sont concentrés sur la défaite de François Bayrou à Pau. Une
vision quelque peu étroite et qui ne signe certainement pas la mort politique
du leader centriste. Au contraire, une défaite aussi étroite renforce l'idée,
chez les militants MoDem, que cette élection a été "truquée" ou
manipulée par le pouvoir UMP, venu jeter le trouble dans les esprits grâce à la
candidature d'Urieta, un PS soutenu bruyamment par Nicolas Sarkozy. Si Bayrou
avait été écrasé par un score terrible, comme ce fut le cas pour Jean-Marie
Cavada à Paris, la donne aurait été différente. Mais avec seulement 342 voix
d'écart, Bayrou fait mieux que résister. Pour rappel, lorsque François Bayrou
s'était présenté contre Labarrère en 1989, il avait été battu avec un écart de
près de 2.000 voix. Plus aucun candidat n'est parvenu à menacer le maire de Pau
d'aussi près depuis lors.
Finalement, le parti
centriste disposera d'un nombre d'élus locaux satisfaisant, grâce à la menace
qu'il aura fait peser entre les deux tours et au refus d'une alliance politique
nationale avec l'UMP. Au total, il compte désormais un peu plus de 1.000
conseillers municipaux élus, ainsi que 55 conseillers généraux. Une fois
encore, ceux-ci pèseront sur les prochaines élections sénatoriales, en
septembre 2008. Il est indubitable que cette élection marquera également un
nouveau recul du MoDem, ne bénéficiant pas d'un grand nombre d'élus de terrain.
De nouveaux départs ne font aucun doute, notamment une vingtaine de sénateurs
qui rejoindront le Nouveau Centre ou l'UMP à l'occasion des élections
sénatoriales, à moins que certains ne ressuscitent l'UDF originelle pour tenter
de sauver leur siège. Jean Arthuis, refusant de s'inscrire dans un courant
centriste s'alliant avec la gauche, est sur cette ligne prônant un retour du
MoDem vers la droite.
Toutefois, un autre danger
provient peut-être d'un rapprochement, souhaité par Sarkozy, entre le Parti
Radical de Jean-Louis Borloo et le PRG de Jean-Michel Baylet. Ensemble, ils
constitueraient un nouveau contrepoids au MoDem, les militants en moins. François
Bayrou doit à présent définir une réelle ligne politique sur laquelle les
militants pourront se fonder pour ces combats futurs.
L'élection présidentielle
de 2002 a marqué le début de cette démarche originale de Bayrou. Abandonné par
la quasi-totalité de ses anciens partenaires de l'UDF, le Béarnais remonte peu
à peu la pente et attire de nouveaux adhérents. Les élections législatives,
puis municipales, lui ont permis de tisser un nouveau maillage de militants et
de structurer des fédérations partout en France. Ces nouveaux adhérents ont à
présent goûté aux joies et aux difficultés de la politique de terrain. Certains
s'en détourneront rapidement, d'autres s'accrocheront pour les combats
suivants. On a vu, dans une ville comme Poissy, une équipe sortie de nulle part
parvenir à plus de 25% des suffrages en un an à peine et à renverser un maire
en place depuis 25 ans en s'alliant avec la gauche.
Le principal espoir de
Bayrou réside dans l'implosion du Parti Socialiste. Il paraît peu probable que
la gauche parvienne à se ressouder, même après un tel succès électoral. Le
congrès, prévu en novembre, devra dessiner une ligne politique de
rassemblement, ce qui n'est certainement pas acquis. Les ambitions personnelles
et les luttes idéologiques sont telles que la motion de synthèse semble
s'éloigner un peu plus chaque jour. Certains élus socialistes rêvent dune
coalition arc-en-ciel, allant de Besancenot à Bayrou. Mais personne ne sait
encore comment faire cohabiter Royalistes et Fabiusiens au sein d'une même
direction. Les élections européennes, notamment, seront la source de nouveaux
affrontements.
Bayrou peut attendre tranquillement
les élections européennes, les seules lui permettant de rebondir avant la
prochaine présidentielle. Au dernier scrutin européen, l'UDF avait obtenu 11,9
% des voix. Au vu des résultats obtenus lors des dernières législatives et
municipales, il n'y a aucune raison pour croire que ce chiffre pourrait être
beaucoup plus faible lors de ce prochain scrutin, la position pro-européenne de
Bayrou ne faisant aucun doute et la présence de nombreux Verts au sein de ses
équipes pouvant lui apporter quelques points supplémentaires. Tant à gauche
qu'à droite, les camps sont divisés sur la question européenne. Les petits
partis (MoDem, MPF, Front National, Verts…) tirent généralement mieux leur
épingle du jeu lors de ces élections. La tension marquée avec l'extrême gauche
sera certainement très nuisible aux socialistes. Tout ce scénario dépendra,
bien entendu, du résultat du congrès du Parti Socialiste, ainsi que du bilan de
Sarkozy à la tête de la présidence européenne, de juillet à décembre.
L'élection européenne sera
donc cruciale pour François Bayrou, marquant le début probable de sa nouvelle
longue marche vers l'Elysée. Entouré d'un nouvel encadrement, débarrassé des
scories du passé, Bayrou sera peut-être le seul vainqueur de ces élections
municipales. Vainqueur par défaut et contre toute attente, face à une droite
désenchantée et une gauche ivre d'espoirs.
* Villes UDF
conservées : Le Chambon-Feugerolles, Saint-André-lez-Lille,
Montigny-le-Bretonneux, Epinay-sur-Seine, Faches-Thumesnil, Le Portel, Le
Plessis-Trévise, Hérouville Saint-Clair, Arras, Redon, Massy,
Fleury-les-Aubrais, Talence, Sanary-sur-Mer, Saint-Genis-Laval, Saint-Brieuc, Biarritz,
Castanet-Tolosan, Andrézieux-Bouthéon. Villes UDF perdues : Anglet,
Noisy-le-Sec, Orthez, Villers-Cotterêts.
** villes
gagnées avec la gauche : Asnières-sur-Seine, Béthune (divers gauche contre le
socialiste Jacques Mellick), Brive-la-Gaillarde, Chennevières-sur-Marne,
Marseille 1er secteur, Maurepas, Poissy. Ville gagnée avec la droite
: Mont-de-Marsan.
*** villes
Nouveau Centre : Bernay, Douai, Drancy, Hem, Issy-les-Moulineaux, Meudon, Rosny-sous-Bois,
Vanves. Ville perdue : Blois.
**** 55 conseillers
généraux (-4). 42 sont passés au Nouveau Centre.