Bon anniversaire, Monsieur le Président !
C'est une époque lointaine, qui paraîtrait irréelle
aux moins de... quarante ans ? La France n'était plus cette grande puissance,
lumière du monde libre, vigie de la libre pensée, de la laïcité et de la
République. Depuis mai 1968, la crise pétrolière, les difficultés
économiques grandissantes, le pays semblait entrer dans une phase de déclin.
Mais pourtant, homme hors du temps, héritier étrange d'un Flaubert qui aurait
choisi l'ENA plutôt que la littérature, Giscard croyait en son destin. Comment
se percevait-il ? Quel était le fonds de sa pensée ?
Ce
jeune technocrate de 48 ans était entré en politique en 1956, en même temps
qu'un certain Jean-Marie Le Pen, à qui il disputait le titre du plus jeune
député de France. Il a toujours été le plus jeune, partout. Double bac à 15
ans, la Croix de Guerre à 18 ans, l'école Polytechnique à 22 ans, l'ENA à 25
ans, l'inspection des Finances à 26 ans… Dans cette IVème République
moribonde, qui ignorait encore que le général De Gaulle allait venir la secouer
une dernière fois, la carrière politique semblait bien grise et empesée. Mais
Giscard avait confiance en son destin. Avait-il ressenti le changement en
cours, qui allait propulser John Kennedy, Nikita Khroutchev, Fidel Castro et
bien d'autres sur les devants de la scène. C'est le moment de l'irruption de la
télévision, la conquête spatiale, les télécommunications, la société de
consommation, le rock and roll, l'insurrection hongroise…
La France était encore une
puissance coloniale, mais pour bien peu de temps.
Que faisait-il alors, en
plein tournant historique ? Jouait-il de l'accordéon, le soir au coin du
feu, pour endormir ses jeunes enfants ? Travaillait-il à un projet de
roman ? Il semble être resté étranger aux tendances du moment. Fils de bonne famille, traditionaliste, il s'est
fait élire dans la circonscription où son arrière-grand-père fut conseiller
général, puis sénateur, pendant 28 ans, à la fin du XIXème siècle. A
l'Assemblée Nationale, il a remplacé son grand-père, élu sénateur depuis 1938
et député depuis 1945. Autant dire qu'il n'apportait pas un souffle
révolutionnaire dans son camp. Il faisait partie de cette bonne société
bourgeoise, privilégiée et loin des préoccupations modernes.
De même, sa carrière
ministérielle a été marquée par un conformisme sans faille. Fidèle élève
d'Antoine Pinay, il a manié la planche à billet en tant que ministre des
Finances à plusieurs reprises, totalisant neuf années à ce poste. Et c'est
ainsi qu'il s'est retrouvé candidat à la Présidentielle à la suite de la mort
de Georges Pompidou, en avril 1974.
Soudain, cet homme gris,
déjà très dégarni, a voulu incarner la modernité et le changement. Il a créé le
poste de Secrétariat d'état à la condition féminine, confié à Françoise Giroud,
il a fait éclater l'ORTF, divisée en TF1, Antenne 2 et France 3 pour la
télévision, Simone Veil a fait voter la loi sur l'interruption volontaire de
grossesse, il a accéléré le programme nucléaire, il a organisé la Sécurité
Sociale, étendue à l'ensemble des travailleurs, il a reçu les éboueurs à
l'Elysée, s'est invité à dîner chez des Français ordinaires…
Que reste-t-il de tout
cela, 25 ans après son départ de l'Elysée ?
Des images vieillies du
"Petit Rapporteur", le règne de Guy Lux et des Carpentier, l'arrivée
des Mac Donald en France, le son du groupe Téléphone, le TGV, le
"mariage" de Coluche et Thierry Le Luron, la coiffure de Mireille
Mathieu, qui n'a toujours pas changé…
La carrière politique de
Giscard est restée marquée par cet échec. Malgré le livre récent de Raymond
Barre, qui retrace cette époque vue de l'intérieur, il ne reste aucune trace
tangible de son passage. Bien qu'il ait tenté de créer un nouveau centre, en
proclamant notamment qu'il fallait répondre aux questions et aux besoins de
"deux Français sur trois", il n'est jamais revenu sur le devant de la
scène. Le dernier échec de cet Européen convaincu aura été le refus du projet
de Traité Constitutionnel Européen, l'an dernier.
Son dernier héritier,
François Bayrou, parviendra-t-il enfin au pouvoir pour réconcilier droite et
gauche, engager une politique de refondation républicaine ? Les sondages
lui font crédit d'une certaine hausse de popularité, toujours très loin
derrière Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. S'il réussissait, ce serait sans
doute le plus beau cadeau d'anniversaire pour le seul ex-Président actuel.