DIS-MOI QUI ECRIT POUR TOI…
… et je te dirai quel
candidat tu es. Selon le Canard
Enchaîné, la "plume" de Ségolène Royal, Sophie Bouchet-Petersen, a
rangé ses stylos, à bout de souffle après plus d'une année de "Désirs
d'Avenir". Ceci repose la question du discours politique. Est-ce la pensée
du candidat qui s'exprime ou celle de son speech-writer ? Petit tour
d'horizon des "nègres" de la campagne.
A tout seigneur, tout honneur. Jean-Louis
Bianco a fait appel à Erik Orsenna, son ancien compagnon à l'Elysée dans
l'équipe Mitterrand des grandes années. Orsenna a rejoint l'équipe à la
mi-janvier pour découvrir qu'il n'existait aucune ébauche du discours essentiel
du 11 février ! Quelles seront les idées exprimées ce jour-là ? Celles
d'Orsenna, de Vincent Peillon, de Benjamin Stora ou de Ségolène Royal ? Jusque
là, on croyait que ce serait les idées des citoyens, recueillies précieusement
lors des "débats citoyens" et synthétisées par la candidate
socialiste. Quelles que soient les qualités littéraires et l'intelligence de
l'écrivain-académicien-voyageur, ce choix de dernière minute indique un net
affolement de la part du camp de la candidate socialiste.
Comme un signe, la fidèle Sophie,
conseillère de Ségolène Royal depuis le Ministère de l'Enseignement Scolaire,
devenue la première conseillère des débuts de campagne, en décembre 2005, se
retrouve mise à l'écart, vidée par une campagne trop longue. Celle dont les
médias nous vantaient l'engagement féministe et les rares qualités
intellectuelles a échoué. L'Histoire nous dira-t-elle un jour qui, de Ségolène
Royal ou sa conseillère, a imaginé le concept des "débats
participatifs" ?
Et voici qu'arrive l'échéance du 11
février, attendue comme l'apparition de la Vierge à Bernadette Soubirous (le 11
février 1858!), et la synthèse des débats. Erik Orsenna a-t-il au moins assisté
à l'une de ces réunions citoyennes ? Ou, du moins, a-t-il participé à
l'écriture du programme du Parti Socialiste ? C'est moins que probable. L'année
dernière, il faisait la promotion de son dernier ouvrage : "Voyage aux
Pays du Coton", petit précis de mondialisation. Il est même possible qu'il
ait été opposé à ce concept, ses précédentes déclarations ayant laissé
transpirer un certain agacement à l'égard de la candidate choisie par le Parti
Socialiste. Cependant, ce sont des "mercenaires" de la plume qui sont
à présent chargés de donner corps à ces fameuses propositions.
Le trou d'air ayant jeté un vent de
panique dans les rangs socialistes, on décide enfin d'appliquer les vieilles
recettes de tonton Mitterrand : rassembler son camp au premier tour, incarner
un espoir pour la gauche. Retour aux vieilles recettes éprouvées. Virage à
gauche toute. Fabius et Mélenchon doivent s'arracher leurs derniers cheveux.
C'est précisément dans ce sens qu'ils œuvraient depuis deux ans.
Du côté de Sarkozy, on a assisté également
à un important virage sémantique depuis l'arrivée d'Henri Guaino dans
l'équipe du candidat UMP. Cet ancien chargé de mission auprès de Philippe
Séguin, souverainiste, a finalement rejoint la maison-mère du Gaullisme après
un détour par le RPF. Celui-ci ayant perdu toute chance de parvenir à ses fins
politiques, Guaino s'est laissé récupérer par Sarkozy. Il apporte un souffle
bonapartiste aux discours du candidat de droite, jusque là plus proche de
Ronald Reagan et Margaret Thatcher que de Charles De Gaulle ou André Malraux.
L'équipe des "plumitifs" de
Sarkozy s'est constituée autour d'Emmanuelle Mignon, diplômée de l'ESSEC et
énarque, avec les publicitaires Jean-Michel Goudard (le "G" d'Euro
RSCG) et François de la Brosse, publicitaire amené par Cécilia. Ceci
signifierait-il qu'il est plus facile de vendre Sarkozy comme un produit
politique, par des hommes de communication, que par des "politiques"
? L'arrivée de Guaino a apporté un souffle républicain, plus politique, qui
habille le candidat d'un costume présidentiel plus présentable. Seul, répétant
à voix basse le discours de son champion lors du discours de la Porte de
Versailles, il a compris qu'on ne gagnait pas une élection présidentielle sans
incarner une certaine idée de la France. La population refusant massivement le
libéralisme économique cher au cœur de Sarkozy, il ne reste que la Nation, le
patriotisme et la protection des plus faibles pour réunir les électeurs autour
du candidat. Une chose est certaine : les mots que prononcent actuellement
Nicolas Sarkozy ne lui viennent pas du cœur, mais plutôt du prompteur. En cas
de victoire, Guaino relativise son rôle par avance. Il sait que seul le
résultat compte, au-delà de ses idées.
Reste François Bayrou. On l'a vu récemment s'exprimer devant les cadres de son
parti. Son discours, griffonné à la main sur une feuille colorée était posé sur
son pupitre. Il improvisait visiblement la plus grande partie de son
intervention, ne prenant que des repères sur ses notes. Il est vrai que Bayrou
est le seul "littéraire" des candidats. Agrégé en lettres classiques,
il a même été la "plume" de Jean Lecanuet, ancien candidat à la
Présidentielle en 1965, à l'époque où Laurent Fabius écrivait pour Mitterrand
et Alain Juppé pour Chirac. On ne trouve pas trace d'écrivains appelés en
renfort pour aider le candidat centriste. La seule figure notable de son
entourage liée aux médias est Jean-Marie Cavada, l'ancien présentateur et
président de Radio-France. Rien n'indique que celui-ci rédige la moindre ligne
pour son candidat. Ce n'est certainement pas Nicolas Perruchot, maire de Blois,
ni Charles de Courson, député de la Marne, qui pourraient remplir ce
rôle, même s'ils participent activement à la campagne du candidat centriste.
Bayrou a créé des cercles de réflexion,
avec Hervé Morin et Marielle de Sarnez, notamment, pour réfléchir au contenu de
ses propositions, mais c'est lui qui tranche, décide et s'exprime. C'est donc
le seul des trois premiers candidats (selon les sondages) dont on est sûr, en
l'écoutant, qu'il exprime des idées personnelles. Ceci peut-il faire la
différence ? Sans doute pas, mais saluons le talent du candidat, toujours
différent des autres.