QUE LE PLUS MEDIOCRE GAGNE
Voilà, nous y sommes ! Le débat a eu lieu et chacun s’est fait une opinion définitive sur le candidat de son choix. Et pourtant, cette campagne laisse un goût amer. Celui d’un affrontement stérile, annoncé et organisé par les médias, pour les médias et avec les médias uniquement. Mais où est passé le peuple ?
Quel que soit le résultat final de ces élections, le débat tant attendu
entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy n’aura finalement démontré qu’une seule
chose : la relative médiocrité des deux candidats.
Je ne reprendrai pas toutes les erreurs commises par l’un et l’autre durant
celui-ci. Qu’il s’agisse du nucléaire, ou d’autres thèmes abordés de façon
approximative, on aura surtout été frappé par le niveau très faible des deux
débateurs. Il suffit de comparer les vidéos des débats précédents pour être frappé
par la nullité de celui-ci. Dans un français approximatif et une rhétorique
usée à l’extrême, Sarkozy propose toujours une vision caricaturale de la
France. Travailler plus pour gagner plus. Aimer la France. Un état fort pour
rétablir l’ordre.
De son côté, Ségolène continue à se prendre les pieds dans le tapis du
financement des mesures qu’elle propose, balbutie quelques grands principes.
L’ordre juste. La démocratie participative. La défense des femmes.
On n’a pas entendu ces deux-là briller, user d’arguments pertinents ou
parvenir à convaincre les auditeurs. Et c’est bien le problème fondamental de
cette campagne médiatique interminable. Depuis le jour où Sarkozy a admis y
penser, "pas seulement en se rasant", et que Ségolène Royal a fait la
"une" du Nouvel-Obs, "si c’était elle", tout est dit. Les
médias ont choisi leur duel et nous l’ont imposé coûte que coûte.
Pour éviter tout risque de dérapage, effacer le 21 avril de nos mémoires, il
fallait à tout prix renouveler la classe politique française, chasser les
éléphants, tourner la page, offrir une image "moderne" de notre
démocratie.
Lui, le fils d’immigré à moitié juif et hongrois, mais radicalement de
droite et ultralibéral. Le Rastignac de la politique française. Yago tapi dans
le sillage de Pasqua, Chirac et Balladur. Iznogoud enfin devenu Pacha à la
place du Pacha. Il est le portrait, caricatural jusqu’à l’extrême, de la
"génération Chirac". C’est toute la philosophie d’Occident qui arrive
au pouvoir avec lui et Patrick Devedjan. Anti-68ard, briseur de grève,
anti-communiste primaire, candidat du capitalisme français, thatchérien et
reaganien par conviction . Il sait que la France résistera à toutes les mesures
qu’il prendra. Il a déjà renoncé à abroger les 35 heures par réalisme
politique. Mais il ne lâche pas son affaire. Il veut supprimer le chômage comme
on supprime un chancre. Il suffit de déclarer que le fait de ne pas travailler
est illégal pour obliger ces fainéants de chômeurs à accepter n’importe quel
boulot. Il faut forcer la France à devenir un pays anglo-saxon, où le rendement
de toutes les administrations doit pouvoir générer un bénéfice au même titre
qu’une entreprise privée. La seule solution pour y parvenir : rendre les heures
supplémentaires obligatoires pour que les Français consomment plus, payent plus
d’impôts et ne perdent pas leur précieux temps en vaines RTT.
Elle, la fille de droite autoritaire, devenue gauchiste et féministe,
socialiste de conviction ou de profession, Madone des médias, Jeanne d’Arc du
XXIème siècle. Elle veut être la fille de Mitterrand, l’héritière de Blum et de
toute l’histoire de la gauche. Confusément, on sait qu’elle ne connaît rien aux
entreprises. Toute sa vie, elle l’a passée dans les cabinets ministériels,
cumulant les mandats et les avantages. C’est l’incarnation même de la tradition
jacobine. L’Etat est l’alpha et l’oméga de l’existence. Rien ne se fait sans
lui. Rien n’est possible contre lui. La réponse a chaque question est simple :
"je veux" parce que "l’Etat, c’est moi". Il n’y a aucune
limite aux possibilités fournies par le budget public. Aucune politique
impossible. Il suffit de puiser dans la caisse et de régler les problèmes en
finançant par la dette.
Mais ni l’un ni l’autre n’offre de réelle perspective. Juste une vieille
chanson, entendue des milliers de fois, d’un côté ou de l’autre. Les deux faces
d’un vieux 45 tours datant des années 80. ça tombe bien, c’est de nouveau à la
mode. Reagan-Thatcher d’un côté. Mitterrand de l’autre.
Pourtant, la pilule est amère. On se dit, en les voyant flotter dans un
costume trop grand pour eux, que le casting n’est pas à la hauteur de l’enjeu.
Si seulement ce débat avait eu lieu avant le premier tour, peut-être que
l’enjeu en aurait été modifié.
TF1, la presse et l’ensemble de l’establishment politico-médiatique en ont
jugé autrement. Dehors Bayrou et ses affidés. A la porte les
"non-candidats" de l’avant premier tour. Où sont passés les Jospin,
Strauss-Kahn ou Fabius qui auraient sans doute élevé un peu ce débat, au moins
d’un point de vue technique ? Où est la génération des anciens
"quadras" de la droite : Philippe Séguin et les autres, assassinés
par leur père spirituel ?
Il ne nous reste que ces deux-là, qui ne donnent vraiment pas envie de voter à ceux qui ne croient plus les vaines promesses ni les arguments creux. Sans doute est-ce un sentiment minoritaire, à l’heure où les deux camps s’enflamment pour leurs candidats respectifs. Méfions-nous pourtant des désillusions prochaines, qui ne tarderont pas à surgir, dans tous les cas de figures possibles.