Sarkozy, ou le mensonge permanent
Depuis
bientôt trois mois, nous sommes entrés dans l'ère du Sarkozysme absolu. Tous
les médias, tous les pouvoirs, tout converge vers notre nouveau président, et
aucun obstacle ne peut se mettre en travers de sa route. On assiste
parallèlement à une belle opération de désinformation continue. "Sarkozy
aussi populaire que Charles de Gaulle", "Les Français plébiscitent
l'ouverture", "Sarkozy sauve l'Europe", "Sarkozy soutient
la candidature de DSK à la tête du FMI", "Sarkozy aide à la
libération des infirmières bulgares en Libye"...
Dans le flux
continu de ces informations débitées à longueur de journée par des médias
complaisants, quelques faits sont réels, d'autres sont tout simplement
d'éhontés mensonges.
La popularité comparée de Sarkozy, tout d'abord.
On tente de nous faire croire que notre nouveau Président est le plus populaire
depuis Charles de Gaulle, vénérable père de notre République. Tout la presse,
sans exception, s'est faite l'écho d'une étude de l'IFOP, réalisée pour le
"Journal du Dimanche" le 26 mai dernier, donnant Sarkozy comme étant
à deux points seulement derrière le Général, "le seul à avoir eu une cote
de popularité meilleure lors de son arrivée à l'Elysée, avec 67% en 1958."
Surprise et consternation. D'où proviennent ces chiffres ? Non pas ceux du
sondage, dont nous ne pouvons remettre en cause la réalité. Mais ceux du
Général de Gaulle ?
Après de nombreuses recherches effectuées sur le web, IMPOSSIBLE de retrouver
les chiffres précis de cette étude de popularité concernant le général de
Gaulle en 1965. Seuls chiffres certains, les cotes de popularité du général
avant le scrutin présidentiel. Petit retour historique. Le Général avait
instauré le principe d'une élection présidentielle au suffrage universel et
1965 devait être l'année de son sacre. Les sondages le donnaient à 66 %
d'intentions de vote au premier tour, laissant même espérer une élection au
premier tour. A la surprise générale, François Mitterrand était venu perturber
le jeu "monopolistique" du parti gaulliste. Le candidat socialiste
(rappelons qu'il était alors bien isolé sur la scène politique, faisant figure
de "has been" dont la réputation était entâchée par l'affaire de
l'Observatoire) avait obtenu 31,7% des suffrages, contre 44,6% au Général. Un
certain Lecanuet, candidat du centre, obtenait également un joli 15,6%. De
Gaulle avait été élu, bien sûr, mais loin de remporter le plébiscite attendu.
Trois ans plus tard, un certain mois de mai provoquait la première grande crise
de société de l'après-guerre et sa fuite à Baden-Baden.
Deuxième certitude, le seul institut de sondages fournissant un baromètre
continu sur la popularité des chefs de l'état est la TNS-Sofres, depuis octobre
1978. Pas de chiffres, donc, concernant De Gaulle et Giscard à l'issue de leur
élection, mais bien pour Mitterrand et Chirac. Constat : Mitterrand obtenait
une cote de popularité de 74% en 1981, 63% en 1988, Chirac 64% en 1988, et
seulement 50% en 1995. Conclusion : avec 63% (chiffres TNS-SOFRES), Nicolas
Sarkozy est 11% derrière le meilleur score de Mitterrand et fait jeu égal avec
Chirac en 1988. Pas de quoi crier au succès "phénoménal".
Même chose pour Fillon. Le même sondage annonçait que François Fillon
obtenait 62%, soit le meilleur score depuis Alain Juppé en 1995. Là
encore, il s'agit d'une désinformation flagrante. En se reportant aux sondages
continus de TNS-Sofres, on constate que les champions des sondages,
depuis 1981, sont :
- Pierre Mauroy et Edouard Balladur : 73%
- Lionel Jospin : 71%
- Michel Rocard : 66%
- Alain Juppé : 65%
- Jean-Pierre Raffarin : 64%
Avec 63% de cote de
confiance, François Fillon est donc loin de battre des records de popularité.
D'où viennent donc ces chiffres fournis par l'IFOP et pourquoi les
médias n'ont-ils pas souligné ces incohérences que de simples internautes un
peu curieux pouvaient constater en quelques clics ?
Faut-il y voir, comme certains le suggèrent, la main discrète de Laurence
Parisot, Présidente du Medef et toujours Présidente du Conseil d'Administration
de cet institut de sondage "marqué à droite" ? Ou bien, est-ce
seulement la paresse intellectuelle d'une classe médiatique entièrement dévolue
au nouveau pouvoir politique ?
Comment ne pas remarquer, la semaine dernière, la remise de distinctions
honorifiques à Christine Ockrent (officier de la Légion d'Honneur), ainsi qu'à
la journaliste de FR3, Elise Lucet, à Nonce Paolini, nouveau PDG de TF1, à
Philippe Baudillon, journaliste de TF1, à Francis Morel, directeur général du
Figaro et président du Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale et à Nicolas
Baverez, économiste nettement marqué à droite et pourfendeur du "déclin
français", tous nommés "chevaliers" du même ordre.
Pendant ce temps, les textes de loi sont votés par des assemblées à peu près
vides. Lorsque François Bayrou voulait assainir la vie politique en exigeant
que les élus fassent acte de présence à l'hémicycle pour mériter leur
rémunération, Nicolas Sarkozy préfère modifier la Constitution pour avoir
l'insigne plaisir de venir défendre lui-même sa politique devant les députés.
La machine médiatique ne s'arrêtera pas à ces broutilles. L'IFOP continue de
diffuser des sondages tronqués ou absurdes (70% des Français approuvent la loi
sur le service minimum, alors que personne n'en connaît encore le contenu !).
Le jeune conseiller de Nicolas Sarkozy, Laurent Solly, 37 ans, va devenir le
bras droit de Paolini à TF1. Les journaux de Bolloré (Matin Plus et Direct
Soir, tressent des couronnes de laurier à peine déguisées en articles de
presse, au gouvernement et au nouveau président à longueur de pages. La presse
libérale applaudit des deux mains, bien sûr.
Non, ce n'est pas Nicolas
Sarkozy qui a négocié le mini-traité européen, même s'il a joué un rôle positif
dans ces négociations. Il est encore très loin d'avoir "sauvé
l'Europe" et sème le doute parmi nos alliés à cause de sa politique
économique.
Non, Nicolas Sarkozy ne
convainc pas avec sa politique d'ouverture. Preuve en est le piètre résultat
obtenu par les députés de la majorité sortante aux législatives (50 sièges
perdus sur 363), ainsi que les inquiétudes concernant le remboursement des
frais de santé ou d'autres sujets sociaux encore en suspens.
Non, Nicolas Sarkozy n'est
pas à l'initiative de l'appel à DSK pour la présidence du FMI, qui est le fait
de Jean-Claude Juncker, Premier Ministre luxembourgeois.
Non, Nicolas Sarkozy n'est
pas le négociateur, ni sa femme Cecilia, qui va permettre aux infirmières
bulgares d'être libérées (peut-être). Ce long travail a été mené par Amnesty
International, Avocats sans Frontière, Benita Ferrero-Valdner, commissaire
européen aux relations extérieures, M. Philippe Douste-Blazy, ministre des
Affaires étrangères, 114 lauréats du Prix Nobel et bien d'autres encore, avant
que, soudain, le 26 avril dernier, le candidat Sarkozy se souvienne de ce
dossier et ne tente de se l'approprier.
Pendant ce temps, le Parti
Socialiste se déchire et le leader le mieux placé pour mener la prochaine
bataille (Dominique Stauss-Kahn, selon les sondages), cèderait aux sirènes
internationales plutôt que de mener le combat de reconstruction de la gauche.
Le désespoir règne à gauche. Le peuple se tait et la comédie continue,
jusqu'aux prochains réveils difficiles de ce pays si versatile.