AVEC LA FRANCE POUR TOIT…
L'action
récente menée par les "Enfants de Don Quichotte" a provoqué une
brutale mise en lumière du problème du logement en France, largement ignoré par
les candidats à la Présidentielle jusque là. Mais, au-delà de l'effet médiatique
et des mesures annoncées par le Gouvernement, une question fondamentale reste
irrésolue : faut-il que l'Etat prenne en charge le logement des citoyens,
au même titre que le travail, l'éducation, la santé, la sécurité… ?
L'ETAT PROVIDENCE
L'état providence ne date pas
d'hier, ni des dernières promesses électorales. Depuis la fin de la deuxième
guerre mondiale, la France a inclus dans sa Constitution des notions de
protection sociale étendues.
Rappelons-en quelques-unes :
- droit d'asile et protection des réfugiés politiques
- droit d'obtenir un
emploi
- protection sociale de la
santé
- droit à la retraite et
au chômage
- protection contre les
calamités nationales
Un seul de ces articles
exige une contrepartie de la part des citoyens vis-à-vis de l'état. Le droit d'obtenir un emploi est lié au devoir de chacun de travailler.
L'état, par ailleurs, s'engage à garantir la sécurité matérielle, le repos
et les loisirs de chacun. Il
entend également nationaliser toute entreprise de service public ou monopole de
fait.
Dans la société issue de la guerre, la communauté internationale veut établir
une société juste et émet de grands textes, comme la "Déclaration Universelle des Droits de l'Homme" adoptée
par les Nations Unies en 1948.
"Afin de lutter contre l'exclusion
sociale et la pauvreté, l'Union reconnaît et respecte le droit à une aide
sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à
tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes."
Quarante ans plus tard, l'Europe
confirme encore le droit à une aide sociale et une aide au logement pour tous
ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes ("Charte des Droits Fondamentaux").
Tous ces droits inscrits
dans nos textes sont loin d'être respectés intégralement.
Ils posent malgré tout un principe fondamental : les citoyens attendent
que l'Etat trouve une solution pour chacun de leurs problèmes.
Cette attitude est assez récente dans l'Histoire. Jusqu'à la Révolution
Française, les Constitutions reposaient sur le droit coutumier. La première
Constitution française (1791) pose les bases des droits fondamentaux. Elle
proclame même que "le but de la
société est le bonheur commun". Mais le texte insiste davantage sur
les "libertés" que sur les "droits" des citoyens, ce qui
dénote un état d'esprit bien différent du nôtre. Les textes législatifs
fondamentaux du 19ème siècle s'éloignent de ces principes généraux
et se limitent à définir la façon dont les états sont organisés, précisent les
modalités des élections, entérinent la séparation des pouvoirs.
UNE SOCIETE MALADE DE SA CONSOMMATION
Les deux guerres mondiales, la
crise de 1929, l'arrivée au pouvoir des Soviets, le Front Populaire et bien
d'autres événements ont conduit à la société sociale-démocrate dans laquelle
nous vivons. Jamais, peut-être, la société ne sera devenue aussi égalitaire
qu'à notre époque. La différence de revenus entre riches et pauvres est le plus
faible jamais constaté dans les pays occidentaux, hormis quelques très rares
exceptions de la Jetset internationale. Il suffit de se pencher sur l'économie
du 19ème siècle pour constater cette réduction des différences. Au
contraire, le peuple a l'impression grandissante que les écarts se creusent. La
société de consommation est passée par là. Un salaire normal ne suffit plus
pour se procurer tout ce que la société offre.
Avant guerre, il était
tout à fait inimaginable qu'un ouvrier puisse un jour s'offrir une voiture, par
exemple. Lorsque l'épargne et la distribution de modèles plus abordables ont
permis aux moins riches d'acquérir leur véhicule, cet investissement était
consenti pour quinze ou vingt ans au moins. Aujourd'hui, il n'est pas rare de
voir des gens aux revenus modestes s'offrir de grosses cylindrées, renouvelées
tous les trois ou quatre ans.
En créant sans cesse de nouveaux besoins, on a jeté les classes populaires dans
une course effrénée à la dépense et au crédit à la consommation. Il suffit
d'examiner les statistiques de consommation des ménages pour constater qu'une
part importante des revenus passe dans des dépenses de confort qui ne seraient
jamais venues à l'esprit des populations avant 1950. Malgré tout, plus de la
moitié (56%) des foyers possèdent leur logement, le nombre de logements
insalubres a été divisé par six en vingt ans, ne représentant que 2,5% du parc
immobilier, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a été
divisé par deux en trente ans. Mais le sentiment de précarité est de plus en
plus répandu.
Les raisons de ce malaise
sont multiples. D'une part, le chômage n'a pas cessé d'augmenter durant la même
période, passant de 2 à 10% de la population. D'autre part, la redistribution sociale
se concentre sur les retraités, de plus en plus nombreux, au détriment des
autres groupes sociaux. On compte aujourd'hui 1,5 actif par retraité, contre
trois actifs pour un il y a trente ans. Enfin, la crise du logement est réelle.
Le coût d'acquisition d'un logement ancien a été multiplié par cinq en vingt
ans !
Si on examine l'évolution des revenus depuis cinquante ans en France, on
constate qu'ils ont totalement cessé de progresser. La croissance moyenne, de
1950 à 1975, était de 4,4% par an. Elle s'établit à 0,5% pour la période allant
de 1975 à aujourd'hui. Ayant perdu tout espoir d'améliorer leur existence au
cours de leur carrière, tenaillés par la crainte de perdre leur emploi,
inquiets, voire méfiants, quant au paiement de leurs retraites futures, les
Français sont tétanisés et manifestent leur mécontentement par leur vote ou
leur abstention.
LA REPONSE DES POLITIQUES
Le mirage politique entretient des
illusions tenaces. La "rupture tranquille" de l'un, le "désir
d'avenir" de l'autre tentent de contourner cet obstacle intangible. Les
candidats à la Présidentielle promettent une France plus juste, ou plus riche,
mais ne proposent aucune solution réelle. La proposition de Ségolène Royal
concernant le logement ? 120.000 mises en chantier, soit une amélioration
de 25% à peine par rapport aux plans mis en place par le gouvernement Villepin
et, plus spécifiquement, par Jean-Louis Borloo dans son plan de cohésion
sociale. Et il est vrai que le nombre de constructions de logements n'a pas
augmenté depuis 1980. Plus préoccupant encore, la ville de Paris, pourtant
passée à gauche depuis cinq ans, n'a augmenté que de 500 logements sociaux par
an son programme de création de nouveaux logements, passant de 3.500 à 4.000. Comment
expliquer ce chiffre si faible, alors que le budget de la ville est de près de
six milliards d'euros par an, dont 210 millions consacrés au logement social ?
Dans le même temps, la Mairie dépensait 254 millions d'euros pour sa voirie,
notamment son tramway. Si cet investissement avait été consacré au logement,
c'est au moins 1.700 logements de 50 mètres carrés qui auraient pu être achetés
ou construits (à 3.000 € le m² !). On estime à 59.000 le déficit en
logements sociaux à Paris uniquement, pour atteindre 20% du parc immobilier,
ainsi que la loi "Solidarité et Renouvellement Urbain" en fait
l'obligation. C'est la ténacité des Verts qui a permis de passer de 135 à 210
millions d'euros de budget pour 2007.
La fondation de l'Abbé
Pierre estime à 500.000 le nombre de logements manquants en France. Ségolène
Royal en blâme la droite, cependant, la réalité objective est que ni droite ni
gauche n'ont réellement entrepris de plan de large envergure pour réduire les
inégalités au cours des vingt-cinq dernières années. Toutes les mesures
sociales successives tiennent du replâtrage ou du gadget expérimental. Un réel
plan de réhabilitation de l'habitat engendrerait certainement une chute du
marché immobilier. D'autre part, il faut se méfier du type d'habitation
construit pour éviter de se retrouver avec de nouvelles cités à problèmes ou un
urbanisme délirant.
On fait porter la responsabilité
de nos problèmes et de notre stagnation tantôt à l'Europe, tantôt à la monnaie
unique. Mais quel rapport y a-t-il entre la construction de logements sociaux
et la politique européenne. Faudrait-il que Bruxelles s'empare de ce problème
pour enfin voir émerger une politique du logement rationnelle ? N'a-t-elle
pas réussi à équilibrer la politique agricole commune durant la même
période ?
DES AIDES POUR SURVIVRE OU DE L'AIDE POUR
VIVRE ?
Notre société est malade de sa
croissance. Les "mal-logés" réclament des logements, les chômeurs
veulent du travail, les pauvres veulent plus d'argent, les riches veulent moins
d'impôts… Chacun considère l'état comme une sorte d'assurance sur la vie. Aux
collectivités de prendre en charge notre existence, de la maternité jusqu'à la
maison de retraite, dans tous les domaines possibles. Treize millions de
pensionnés, six millions d'allocataires d'aide au logement, trois millions
d'allocataires de minima sociaux (insertion, veuvage, invalidité, parent isolé,
allocation solidarité spécifique, équivalent retraite) dont plus d'un million
de RMIstes, 4,4 millions de chômeurs dont 2,2 millions de chômeurs indemnisés,
autant de personnes qui vivent dans la précarité, suspendus au paiement de ces
aides par l'Etat. Ensemble, ils représentent aujourd'hui plus du tiers de la
population. Par ailleurs, l'état distribue également entre 8 et 9 milliards de
subventions et d'aides aux entreprises chaque année. Combien de temps peut-on
encore tenir à ce rythme ? Ne faut-il pas revoir fondamentalement
l'organisation de notre société ?
Le modèle communiste (type
soviétique) a fait long feu. L'ultralibéralisme développé dans un certain
nombre de pays engendre des inégalités insoutenables. Notre système
social-démocrate est totalement à bout de souffle et à bout de ressources.
Comment inventer de nouvelles solutions dans un monde interdépendant ?
De nombreuses expériences de
financement des micro-entreprises dans le tiers-monde ont prouvé qu'il était
possible de sortir des communautés entières de leur misère en les aidant à
devenir autonomes. C'est l'inverse de ce que nous pratiquons dans nos pays
depuis cinquante ans. Une solution radicale consisterait à remettre le modèle à
plat, en supprimant toutes les aides et en les remplaçant par un réel système
financier d'aide à la création d'activité. Les allocations d'aide pourraient
devenir des prêts remboursables, ou des investissements, sans que cela remette
en cause le principe de la solidarité. Quelques économistes cherchent des
solutions dans ce sens. On est bien loin de mesures aussi radicales mais, au
moins, prenons le temps de réfléchir au type de société que nous construisons,
et comment il pourra perdurer dans un environnement vieillissant.